Un « témoignage » hors les normes de la jouissance féminine : Catherine Millet.

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Dans la pratique psychanalytique orientée par l’enseignement de Lacan, le hors les normes, le singulier, est le fondement même de nos pratiques. Les plus célèbres des aphorismes de Lacan – « Il n’y a pas de rapport sexuel » et « La femme n’existe pas » –indiquent comment la plus radicale des singularités de jouissance est toujours de mise.

Le premier s’appuie sur le fait que chacun doit trouver une formule pour rencontrer, ou non, l’Autre sexe : pas de mode d’emploi préétabli, ce qui permet ainsi toutes les constructions possibles dans la rencontre. Tandis que le deuxième « La femme n’existe pas » nécessite le déchiffrement au un par un, puisque cette jouissance que Lacan appelle jouissance Autre, est hors-norme par définition. Cette jouissance, dite féminine, se soumet pour une part à la norme phallique, tout x est soumis à la fonction phallique, pour mieux la dépasser et s’en exclure dans l’exception féminine: pas-tout x est soumis à la fonction phallique.

Dans deux ouvrages célèbres, La vie sexuelle de Catherine M. et Jours de souffrance, Catherine Millet nous apprend beaucoup sur ce hors les normes. Elle indique, lors d’une conversation avec Marie-Hélène Brousse, la singularité de sa jouissance et de son dire. Comme une tentative d’apporter un « témoignage de quelqu’un qui avait fait cette expérience de la liberté sexuelle, qui avait traversé cette expérience sans dommage », elle a écrit ce livre pour « dire des choses qui n’avaient jamais été dites ou en tout cas écrites et publiées de cette façon »[1]. Elle prend ainsi son exception en charge et la redouble : « j’ai entrepris ce livre avec l’idée que j’en savais un peu plus sur la question que les autres »[2]. Elle ajoute cependant : « La sexualité, il me semble que l’on s’y perd plus qu’on s’y retrouve »[3].

La vie sexuelle de Catherine M. rend compte de cette singulière position de jouissance, « qui passe de l’exception à l’exclusion, la répétition d’un souvenir d’enfance l’amen[ant] à frôler le hors limite. »[4]. Elle savoure sa position d’exception dans le commerce des hommes, et de leur foutre, elle jouit de se savoir enduite[5], cherchant à en jouir pleinement par tous les orifices, dans tous les temps, de tous les lieux, de tous les hommes franchissant les limites des autres femmes qui repousseraient le plus sale des hommes. Elle nomme sa jouissance dans le nombre : « je voulais le grand nombre, un nombre qui tende vers l’infini »[6].

M.-H. Brousse indique, lors de l’entretien cité, que cela indique « un engagement dans l’acte. Dire que oui ou que non à l’acte sexuel »[7], que la « volonté de jouissance, c’est vraiment une activité et une pratique volontaires »[8]. Ce que Catherine Millet précisera ainsi : « ce qui était volontaire c’était la liberté ».

Exclusion, singularité, hors-norme dans une volonté illimitée de liberté de jouissance. La jouissance féminine, la jouissance Autre permettant de conjoindre Catherine Millet et Médée, comme le rappelle Jacques-Alain Miller : « l’acte d’une vraie femme, je ne vais pas dire que c’est l’acte de Médée, même s’il en a la structure »[9].

[1] Brousse M.-H., « Conversation exceptionnelle avec Catherine Millet au Wiels », Est-ce Un ?, Quarto n° 103, décembre 2012, p. 66.

[2] Idem.

[3] Ibid., p. 67.

[4] Maugin C., « La jouissance de Catherine M. : l’au delà de la limite phallique », Lettre mensuelle n°296, mars 2011, p. 10.

[5] Idem., p. 8.

[6] Idem., p. 8-9.

[7] Brousse M.-H., « Conversation exceptionnelle avec Catherine Millet au Wiels », op. cit., p. 68.

[8] Idem. , p. 70.

[9] Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, n°36, mai 1997, p. 8.

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